Édito

“Quand la rumeur blesse, l’employeur doit protéger”
Par Stéphane MARTIN, à partir de la décision CAA Lyon, 14 novembre 2025, n°23LY03888
Il est des décisions de justice qui dépassent le cadre juridique pour rappeler une vérité humaine : au travail, la dignité n’est pas négociable. L’affaire récemment examinée par la Cour administrative d’appel de Lyon en fait partie. Elle met en lumière ce que vivent encore trop d’agents : l’impact destructeur de rumeurs, le silence qui s’installe, la hiérarchie qui tarde à agir, et les dommages psychologiques qui en résultent.
Une agente territoriale, déstabilisée par la propagation de rumeurs à connotation sexuelle au sein de son service, a vu sa santé vaciller jusqu’à être placée en congé de maladie puis en congé de longue maladie. Ce que la cour rappelle fermement, c’est que la rumeur n’est jamais anodine. Lorsqu’elle atteint l’honneur d’un agent, elle impose à l’employeur une obligation immédiate : protéger.
Dans cette affaire, l’administration avait refusé la protection fonctionnelle. Le juge en décide autrement. Il reconnaît la réalité des propos diffamatoires et rappelle leur gravité. Même en l’absence de harcèlement moral caractérisé, l’atteinte à la réputation suffit à déclencher le devoir de soutien et de défense de la collectivité. C’est un signal clair envoyé à toutes les organisations : l’inaction n’est plus possible.
Car la justice ne s’arrête pas là. Elle reconnaît également l’imputabilité au service de la pathologie anxiodépressive de l’agente. Le lien entre le climat délétère du service, les tensions persistantes, la circulation des rumeurs et l’état de santé est établi. Cette conclusion devrait engager une réflexion profonde au sein des collectivités : lorsque l’environnement de travail se détériore, c’est la responsabilité de l’employeur qui est en jeu.
L’éditorial de ce jour se veut protecteur, car il s’adresse d’abord à celles et ceux qui, dans l’ombre, subissent ces violences insidieuses. Il rappelle que nul agent n’est censé affronter seul la diffamation, l’humiliation ou la mise en cause publique. Le droit est clair : la protection fonctionnelle existe pour cela. Elle est un rempart, un soutien, un devoir.
Il s’adresse ensuite aux responsables hiérarchiques. Leur rôle n’est pas seulement d’organiser le travail : il est aussi de garantir la sécurité morale de leurs équipes. Une réaction tardive, comme le souligne la cour, peut avoir des conséquences lourdes. Protéger, c’est agir vite, fermement, et avec discernement.
Enfin, il parle aux institutions elles-mêmes. Car la confiance des agents ne se décrète pas : elle se construit à travers des actes concrets, visibles, cohérents. La prévention des risques psychosociaux ne peut rester un affichage. Elle doit devenir une culture partagée, une vigilance permanente, une capacité d’intervention.
En rappelant ces principes, la décision de la CAA de Lyon ne fait pas seulement jurisprudence : elle réaffirme une exigence morale fondamentale.
Protéger les agents, c’est protéger le service public.
🎭 « Le bénévolat obligatoire… mais volontaire : chronique d’un Conseil d’administration pas comme les autres »
Il y a des jours où l’on découvre que l’engagement citoyen est une vertu… tellement précieuse qu’elle ne mérite aucune reconnaissance. Pas même une petite heure au planning. C’est ce que nous rappelle avec panache la position officielle du Département des Vosges : siéger au Conseil d’administration d’un collège ? Admirable, mais purement bénévole.
Oui, vous avez bien lu : bénévole.
Pas “partiellement reconnu”.
Pas “à valoriser”.
Juste bénévole, point final, rideau.
🎓 Une instance nécessaire, mais un engagement « personnel »
Le Conseil d’administration est pourtant défini par le Code de l’éducation comme l’organe décisionnel majeur du collège. Il adopte :
- le budget,
- le règlement intérieur,
- le projet d’établissement,
- les décisions en matière de sécurité, d’hygiène, d’organisation…
Bref, un truc mineur : la gouvernance de l’établissement public.
Mais selon la réponse du CD88, cela reste une sorte d’activité de loisirs pour les agents territoriaux. Une sortie du soir, quelque part entre aller chercher du pain et regarder une série.
💬 Extrait authentique de la réponse du Département des Vosges :
« La participation à un Conseil d’Administration est une démarche volontaire et personnelle.
Les agents ne sont alors pas à la disposition de leur employeur et peuvent vaquer librement à des occupations personnelles. »
Énorme découverte :
Participer à un CA, c’est être libre comme l’air !
Le genre de liberté où l’on s’engage pour représenter ses collègues, mais sans que cela ne compte en temps de travail, ni en récupération, ni en rien d’ailleurs.
🧠 Logique imparable (si si) :
- Vous êtes élu par vos pairs ?
→ C’est personnel. - Vous examinez le budget d’un service public ?
→ C’est personnel. - Vous votez les décisions qui impactent le quotidien de centaines d’élèves et de professionnels ?
→ Toujours personnel. - Vous êtes présent en soirée pour représenter la collectivité qui vous emploie ?
→ Personnel, encore et toujours.
On pourrait presque imaginer un slogan :
« Engagez-vous… mais surtout, engagez votre temps personnel ! »
🏔️ Pendant ce temps… en Alsace
La Collectivité européenne d’Alsace (CeA), elle, applique un règlement daté du 31 mai 2021, parfaitement vérifiable, qui dit ceci :
« Le temps d’intervention (…) dans le cadre des séances du Conseil d’administration (…) est reconnu comme temps de travail effectif.
Si ces participations ont lieu en dehors des horaires, elles donnent lieu à récupération. »
Ah oui.
Donc c’est possible.
Même légal.
Même déjà pratiqué.
Juste… pas dans les Vosges.
🕯️ Le bénévolat comme projet de société ?
Le plus beau dans tout cela, c’est l’argument final de la collectivité :
« Souhaitant préserver la complète indépendance de choix de participation et de liberté d’expression… »
En résumé :
On ne vous paie pas, mais c’est pour votre liberté.
Un peu comme si on expliquait à un pompier volontaire que, pour préserver sa liberté de pensée, il devait payer aller au feu gratuitement.
🎁 Conclusion : la démocratie scolaire façon Vosges
- Le CA se réunit le plus souvent le soir.
- Les agents territoriaux y participent après leur journée de travail.
- Leur mandat améliore la gouvernance de l’établissement.
- Leur employeur reconnaît l’engagement… comme un passe-temps.
Et ensuite, on s’étonne que les candidatures baissent.
💡 Morale de l’histoire
Siéger au CA d’un collège dans les Vosges :
un engagement citoyen, professionnel… et surtout bénévole !
Car ici, l’innovation, ce n’est pas comme en Alsace.
C’est mieux :
c’est gratuit.
Emmanuel JEANDIDIER


