Depuis fin 2023, un certain nombre de collectivités territoriales ont déclaré qu’elles instaureraient un congé menstruel pour les employées souffrant de menstruations douloureuses ou invalidantes. Cependant, les collectivités ne peuvent pas se conformer à un cadre juridique existant et n’ont pas la possibilité d’établir des congés spécifiques ou exceptionnels. Par conséquent, les employeurs territoriaux sont contraints soit de transgresser les règles actuelles, au risque d’être rejetés ; soit de recourir, en les adaptant légèrement, aux mécanismes déjà en place, notamment les ASA (autorisations spéciales d’absence) et le travail à distance, sur présentation de justificatifs médicaux. Quels sont les risques associés ? Le SNT-Vosges propose un aperçu des décisions prises par plusieurs collectivités.
Malgré que la proposition de loi déposée par des sénateurs socialistes a été rejetée par 206 voix contre 117 à la chambre haute le 15 février dernier. La question de la gestion des menstruations douloureuses ou incapacitantes au travail est un sujet encore tabou en 2024, mais qui commence à être abordé par les entreprises et les administrations. En particulier, de plus en plus de collectivités territoriales expérimentent ou envisagent d’instaurer des congés menstruels, en adoptant une résolution en ce sens.
Plusieurs d’entre elles, comme Saint-Ouen ou le département de la Seine-Saint-Denis, ont initié ce mouvement au printemps 2023, encouragées par l’adoption d’une loi par le Parlement espagnol créant un congé spécifique. Dans le département de la Seine-Saint-Denis, depuis juin 2023, les infirmières du travail ont reçu les dossiers médicaux de 29 employées, comme l’explique Gaëlle GALAND, DGA en charge des ressources humaines et de la modernisation au sein du département. Sur ces 29, 17 bénéficient d’un aménagement de poste ou d’ASA (Autorisations Spéciales d’Absence) si nécessaire, jusqu’à deux jours par mois, tandis que les douze autres dossiers sont encore en cours de traitement. À partir de novembre, des permanences mensuelles assurées par les infirmières du département permettront aux employées non diagnostiquées mais souffrant de menstruations douloureuses d’être suivies médicalement.
LE RECOURS AUX ASA, LA SOLUTION IDEALE ?
Dans la municipalité de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), treize femmes parmi les 603 employées municipales profitent de l’une des quatre mesures instaurées :
- adaptation du poste de travail pour alterner entre les positions assises et debout,
- diminution des efforts physiques ou favorisation de la visioconférence ;
- ajustement du temps de travail en collaboration avec le responsable du service ;
- extension du recours au télétravail et ASA allant de 0,5 jour à 2 jours par mois.
« Cela ne s’adresse pas uniquement aux femmes atteintes d’endométriose », souligne Thomas PRADELOU, responsable de la mission égalité femmes-hommes et lutte contre les discriminations à la ville de Bagnolet, « mais à toutes celles qui souffrent de menstruations douloureuses ». Les agentes ont également accès à une consultation avec un médecin agréé dont les frais (70 €) sont pris en charge par la collectivité.
Depuis l’été 2023, d’autres collectivités ont emboîté le pas. La métropole de Lyon a ainsi instauré depuis le 1er octobre 2023 une ASA pouvant aller jusqu’à deux jours en cas de menstruations douloureuses. En Nouvelle-Aquitaine, à partir du 1er novembre 2023, les agentes du conseil régional peuvent demander une autorisation spéciale d’absence de deux jours chaque mois. La collectivité estime à 350 le nombre d’employées susceptibles de recourir à cette mesure.
Dans la Somme, le conseil municipal d’Abbeville (450 employés, dont 40 % de femmes) a voté à l’unanimité en juillet 2023 la mise en place d’un congé menstruel, sous la forme d’une autorisation spéciale d’absence de deux jours maximum par mois, « en cas de douleur ou pour se rendre à des consultations médicales ». Cependant, le congé menstruel instauré par la municipalité a été rejeté par la sous-préfecture. Selon cette dernière, l’expérimentation d’une ASA pour une telle raison spécifique « n’est pas actuellement autorisée par la loi », comme indiqué dans une lettre datée du 27 juillet et adressée à la mairie. Les seules « raisons actuellement valides » pour ce type d’absence sont liées à la « parentalité », à « certains événements familiaux » ou à « l’exercice d’un mandat ».
En effet, en raison de l’absence d’un cadre juridique spécifique pour ce type d’absence, les collectivités se tournent principalement vers les ASA pour événements familiaux, prévues à l’article 45 de la loi de transformation de la fonction publique de 2019 (maintenant codifié à l’article L622-1 du CGFP), qui a modifié l’article 21 de la loi statutaire du 13 juillet 1983 pour harmoniser le régime de ces ASA (le décret d’application de l’article 45 n’est toujours pas paru).
Ce décret, qui concernera les trois versants et était initialement attendu pour 2020, doit déterminer « la liste de ces autorisations spéciales d’absence et leurs conditions d’octroi » et préciser « celles qui sont accordées de droit ». Actuellement, en l’absence de ce texte d’application, les collectivités peuvent délibérer sur la mise en place de telles ASA, après avis de leur CST – ce qui ne sera plus possible une fois le décret publié.
Cependant, le fait que les collectivités puissent délibérer sur les ASA pour événements familiaux, qui ne sont pas de droit, ne légitime pas nécessairement l’instauration d’une ASA pour douleurs menstruelles. En effet, ces autorisations sont généralement accordées pour des événements exceptionnels, ce qui n’est pas le cas des menstruations (les ASA réglementées pour motifs religieux n’intervenant quant à elles que quelques fois par an).
Il n’y a actuellement pas d’ASA qui soit justifiée pour des raisons médicales. Cependant, plusieurs initiatives locales ont conditionné l’octroi de leur nouvelle ASA pour douleurs menstruelles à la présentation d’un justificatif médical. C’est le cas dans la métropole de Lyon, où le certificat médical doit confirmer « une pathologie entraînant des douleurs pendant les règles », ou en Nouvelle-Aquitaine. L’utilisation de l’ASA se rapproche ainsi de celle de l’arrêt maladie. Pour les femmes souffrant particulièrement d’endométriose, une telle autorisation d’absence reviendrait à créer la « première ASA médicale », ce qui contournerait le congé maladie et le jour de carence. À moins que le jour de carence ne soit supprimé en cas de congé maladie spécifique, comme le prévoient les propositions de loi déposées récemment au Parlement.
Ces trois textes visent à combler ce vide juridique en établissant un cadre législatif pour le congé menstruel, tant pour les salariées du secteur privé que pour les agentes du public. Une proposition de loi sénatoriale socialiste prévoit notamment un arrêt maladie dédié sans jour de carence. Une autre, provenant de députés socialistes, propose notamment pour les agents publics des ASA spécifiques assorties de conditions médicales et la possibilité de télétravailler. Enfin, une dernière, initiée par des députés écologistes, envisage la création d’un arrêt de travail pouvant aller jusqu’à 13 jours par an (sur prescription médicale), entièrement pris en charge par la sécurité sociale, sans jours de carence, ainsi que le droit de recourir au télétravail pour les salariées et fonctionnaires concernées.
DES VŒUX POUR EXPÉRIMENTER LE CONGÉ MENSTRUEL
Pour se saisir du débat, certaines collectivités ont adopté des vœux pour expérimenter le congé menstruel. C’est le cas de la mairie d’Abbeville, qui a adopté un vœu le 18 septembre dernier, et de la mairie de Paris, le 16 mars 2023. Antoine GUILLOU, alors adjoint à la maire de Paris notamment chargé des ressources humaines, expliquait vouloir « clarifier auprès du gouvernement la question juridique et savoir si les collectivités locales ont la possibilité de moduler les jours de carences sur certains motifs ». Lors du dernier Conseil de Paris, en octobre, l’élu a rappelé sa volonté d’expérimenter ce congé dans un souci d’attractivité de la fonction publique, mais regretté qu’il n’y ait toujours pas plus d’informations du gouvernement à ce sujet.
Les femmes étant majoritaires dans les effectifs de la Fonction publique territoriale , le SNT-Vosges souhaiterait que les collectivités des Vosges envisagent d’expérimenter le congé menstruel.