Déjà touchées par des difficultés de recrutement sur de nombreux métiers en tension, les collectivités doivent se préparer à voir partir nombre d’agents effectuant ces métiers pénibles et peu attractifs. Un enjeu qui dépasse les seuls services RH.
Une étude parue le 21 décembre 2023, réalisée par l’Institut national des études territoriales du CNFPT, en partenariat avec la Banque postale, a analysé la façon dont les collectivités locales anticipent le départ en retraite de leurs agents, alors que la Fonction publique territoriale est confrontée à une accélération du vieillissement de ses effectifs.
Pour le SNT-Vosges, les collectivités doivent anticiper une accélération des départs à la retraite de leurs agents. Dans une étude parue en décembre 2023, des élèves administrateurs de l’Institut national des études territoriales (Inet) constatent l’impréparation des collectivités territoriales face au vieillissement de leurs agents et donc de leur départ en retraite. Alors que les employeurs territoriaux font déjà face à des difficultés de recrutement sur un nombre croissant de métiers, l’étude soulève la question de la continuité des services publics dans les années à venir.
Plus d’un quart des effectifs de la Fonction publique territoriale est âgé de 55 ans et plus, les employeurs publics doivent veiller à organiser la transmission des connaissances et des compétences des agents sur le départ.
LE CONSTAT
Alors que la part des seniors est déjà plus élevée dans le secteur public (21 %) que dans le secteur privé (17 %), elle est aussi plus importante dans la territoriale (25,8 % en 2020) que dans les autres versants (17,3 % dans la FPH et 18,4 % dans la FPE). Les agents titulaires sont encore davantage concernés par le vieillissement : « Fin 2020, la part des seniors était deux fois plus importante pour les agents titulaires que pour les agents contractuels (28,6 % contre 14,4 %)« . Quant aux fonctionnaires territoriaux âgés de plus de 50 ans, ils représentent près d’un fonctionnaire sur deux en 2020 (47,3 %).
Tous les cadres d’emploi ne sont pas touchés de la même manière par le vieillissement. Les agents de maîtrise, les agents techniques, les agents sociaux et les Atsem sont particulièrement concernés avec 31 % à 41 % d’agents âgés de plus de 55 ans, et même 9,90 % à 12,49 % d’agents âgés de plus de 60 ans.
QUELS SONT LES MÉTIERS LES PLUS TOUCHÉS PAR LES DÉPARTS EN RETRAITE ?
Les départs en retraite sont synonymes de risque pour la continuité de service public sur les métiers en tension comme les filières techniques, les filières sociale, médico-sociale, de l’animation et de la petite enfance. Ainsi, 35 % des chargés de propreté des locaux, 30 % des agents de service polyvalent en milieu rural et 24 % des secrétaires de mairie partiront en retraite dans les six ans, rappelle l’étude. Or, ces trois métiers font partie des dix métiers les plus en tension en 2020. S’y ajoute l’enjeu de la transmission des compétences, des connaissances et de la « mémoire » des collectivités, comme a pu le faire remarquer le SNT-Vosges à de nombreuses reprises. Le cas des agents de maintenance des collèges par exemple dont les connaissances des infrastructures des sites ne sont pas formalisées et inventoriées au travers de documents d’archives. Ou encore, le nécessaire tuilage de plusieurs mois voire années, des nouveaux arrivant sur des postes hautement techniques. Tous ces éléments peuvent perturber le bon fonctionnement des services.
ATTENTION A LA PSEUDO AUBAINE DE L’EFFET NORIA
L’effet de noria est une mesure du taux de variation de la masse salariale.
La variation correspond à la différence entre les sommes des salaires des salariés entrants (moins payés) et des salariés sortants (mieux payés grâce à leur ancienneté). Rapporté à la masse salariale, il fournit le pourcentage d’économie attendu pour l’année suivante.
Les collectivités pourraient être tentées de croire, grâce à cet l’effet, que les départs en retraite de leurs agents les plus âgés, et dont les traitements ont progressé au fil de leur carrière, leur permettront de réaliser des économies sur la masse salariale. Or, d’après les entretiens réalisés, un tel effet est difficilement quantifiable et prédictible. Car les départs en retraite sont aussi l’occasion de faire évoluer les postes.
En outre, non seulement les personnes qui partent ne sont pas remplacées nécessairement par des plus jeunes. Mais plus généralement, compte tenu des tensions sur le marché de l’emploi, et dans un contexte de chômage en baisse, les prétentions salariales des agents entrants sont plus importantes, qu’il s’agisse de contractuels comme de titulaires. Les coûts de remplacement doivent aussi être pris en compte, qu’il s’agisse de former le nouvel agent ou de régler le solde de tout compte de l’agent sortant. Les auteurs de l’étude concluent donc que « les départs à la retraite ne sont globalement pas associés à une contraction attendue de la masse salariale pour les collectivités employeuses ».
ADAPTER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES (GRH) AU VIEILLISSEMENT
Outre l’anticipation des départs en retraite, les auteurs estiment que les collectivités doivent adapter leurs politiques RH au vieillissement des agents afin de diminuer le nombre de départ en retraite anticipée, de lutter contre l’usure professionnelle et ainsi permettre une retraite de meilleure qualité et, enfin, pour attirer de nouveaux agents en leur garantissant « des évolutions de carrières satisfaisantes ».
Dans certaines collectivités, des chefs d’équipe dans les centres routiers, sont bloqués au grade d’agent de maitrise sans possibilité de promotion au grade supérieur d’agent de maitrise principal. Cela s’inscrit typiquement dans le cadre d’évolution de carrière insatisfaisante. Ces fonctions nécessitent pourtant une technicité et une expertise importante surtout s’agissant de la gestion du domaine public.
Point aggravant, les écarts de rémunération entre la grille indiciaire d’un agent technique principal de 1ère classe et la grille d’un agent de maitrise ne sont pas suffisamment différenciées pour susciter des vocations chez les agents susceptibles de postuler sur des vacations de postes de chef d’équipe.
19 ans pour atteindre le dernier échelon de la grille d’adjoint technique pal1ereCl pour une rémunération brute de 2359,09€ contre 24 ans pour le grille d’agent de maitrise pour une rémunération brute de fin de grille de 2367,86€.
5 années supplémentaires dans le grade d’agent de maitrise, pour un gain de 14,77€ brut par rapport au grade d’adjoint technique Pal1ereCl, et de plus sans promotion possible au grade supérieur pour les agents qui décident de prendre la responsabilité de devenir chef d’équipe, nous semble une aberration managériale face aux enjeux de la GRH dans les années à venir.
Il faut également identifier les métiers à risque, susceptibles de conduire plus rapidement à l’usure prématurée des agents.
Les métiers et les besoins évoluent, notamment du fait du numérique. La GRH doit donc aussi se préoccuper de l’employabilité des agents les plus âgés et les accompagner dans leur apprentissage de nouveaux outils.
Enfin, le droit à l’information sur la retraite des agents, assuré par les organismes gestionnaires, ne doit pas dédouaner les employeurs territoriaux de « s’assurer de la bonne information de leurs agents quant à leurs droits ».
Le départ en retraite de l’agent doit faire l’objet d’une attention particulière : remerciements formels de la part de la collectivité envers l’agent et organisation de la transmission des connaissances et compétences sont de nature à jouer un rôle positif sur la marque employeur des collectivités.
UN ENJEU QUI DÉPASSE LES RH
Si les services RH doivent naturellement être mobilisés sur la question des départs en retraite, les directions opérationnelles comme nous l’avons souligné dans l’exemple des agents assurant les fonctions de chefs d’équipe, ont aussi un rôle prospectif à jouer, plaident les auteurs de l’étude. « Les remontées d’information concernant les départs en retraite sont insuffisamment structurées et exploitées dans les collectivités, relèvent-ils. Peu des collectivités interrogées centralisent les prévisions de départ. »
Cela complique d’autant plus l’anticipation des besoins en ressources humaines à venir, une problématique régulièrement confirmée par la difficulté des collectivités à mettre en place une GPEEC. Une difficulté liée principalement à un manque de temps et de moyen, observent les élèves-administrateurs. « De manière générale, il apparaît difficile pour les collectivités d’anticiper l’évolution des métiers au-delà de trois ans. Les ’emplois de demain’ restent difficiles à appréhender. »
Enfin, d’après les collectivités interrogées, les enjeux liés à l’accélération des départs en retraite sont rarement investis tels quels par les directions générales, les élus ou encore les organisations syndicales. Pour les premières, les départs en retraite sont considérés comme un problème lorsqu’ils viennent compliquer le recrutement sur des métiers déjà en tension. Quant aux organisations syndicales, elles se montrent plus attentives « aux risques associés au vieillissement des agents » et au « pilotage de la masse salariale notamment lors du non-remplacement des départs ».
A contrario, le SNT-Vosges se démarque au travers de ces analyses et ces propositions récurrentes sur tous ces sujets. Il est primordial pour nous que les lignes directrices de gestion jouent pleinement leur rôle, à savoir une gestion claire et pluriannuelle des évolutions en ressources humaines en tenant compte des évolutions prévisibles à venir telles que le vieillissement des actifs, l’usure professionnelle, les mission d’avenir, la continuité du service public et encore les évolutions de carrières. Tous ces points ne doivent pas, à notre sens, être traités individuellement, mais bien au contraire, dans leur globalité et interactions diverses.
LES SOLUTIONS MISES EN ŒUVRE PAR CERTAINES COLLECTIVITÉS
« Les entretiens menés avec les collectivités ont mis au jour l’insuffisante vigilance portée à l’évolution des départs en retraite, ainsi que leur faible place dans les prospectives RH réalisées par les directions ressources. Ce manque de structuration s’inscrit dans un déficit plus global d’anticipation RH », constatent sans ambages les auteurs de l’étude. Ils relèvent toutefois des initiatives mises en place localement, auxquelles la troisième partie de l’étude est consacrée.
Par exemple, la ville et métropole de Nantes consacre chaque année une étude globale aux effectifs de la collectivité et cible les métiers en tension. Dijon met de son côté « en place une revue de gestion annuelle au cours de laquelle sont abordés, direction par direction, l’ensemble des mobilités à venir (y compris les départs en retraite) et les recrutements qui en découlent ». Plus au Nord, la métropole européenne de Lille poursuit une autre stratégie : à chaque départ en retraite, le poste est « réinterrogé », ce qui permet, si nécessaire, de réorienter le nouvel agent vers d’autres missions plus prioritaires.
Enfin, certaines misent beaucoup sur la prévention de l’usure professionnelle, à travers le reclassement ou la formation comme l’ont encore initié d’autres collectivités en lien avec les demandes du SNT-Vosges.
Ne pas s’inscrire rapidement dans des actions correctives, en y consacrant tant des moyens humains que des moyens financiers serait similaire à se tirer une balle dans le pied pour les collectivités locales.