Édito
“Quand le SMIC comprime les grilles, c’est un déséquilibre qui s’installe”
Par Stéphane MARTIN
Au 1er janvier 2026, le SMIC a connu une nouvelle revalorisation. Modérée dans son ampleur, cette hausse porte néanmoins le SMIC mensuel brut à 1 823,03 € pour un temps plein.
Une évolution automatique, prévue par la loi, qui répond à l’inflation et à l’évolution des salaires. Mais dans la fonction publique territoriale, cette augmentation, pourtant extérieure aux grilles indiciaires, pourrait produire un effet bien connu : un nouveau tassement du bas des grilles.
Un minimum indiciaire désormais en retrait
La rémunération indiciaire des agents territoriaux repose sur un principe simple :
un indice majoré, multiplié par la valeur du point d’indice, aujourd’hui fixée à 4,92278 € brut par mois.
Le minimum indiciaire garanti est actuellement fixé à l’indice majoré 366, soit un traitement brut mensuel d’environ 1 801 €.
Avec la revalorisation du SMIC au 1er janvier 2026, ce seuil se retrouvera désormais en deçà du salaire minimum légal. Ce décalage n’est pas une interprétation, mais le résultat mécanique des règles de calcul en vigueur.
Le glissement du seuil de l’indice 366 à l’indice 371
Pour qu’un traitement indiciaire atteigne le niveau du SMIC brut revalorisé, il faudra désormais se situer autour de l’indice majoré 371.
Cinq points d’indice séparent donc aujourd’hui le minimum indiciaire du SMIC.
Ce déplacement du seuil n’est pas neutre. Il signifie que, sans mesure corrective, le bas des grilles indiciaires ne remplit plus pleinement son rôle de garantie minimale et appelle un ajustement technique.
Le tassement des grilles, une mécanique bien connue
À défaut de revalorisation du point d’indice, les ajustements prennent généralement la même forme :
un relèvement du minimum indiciaire ou un reclassement des premiers échelons.
Cette solution permet de respecter le SMIC, mais elle produit un effet collatéral désormais récurrent : les grilles se resserrent par le bas. Les écarts entre les premiers échelons se réduisent, parfois jusqu’à se superposer.
Ce tassement efface progressivement la distinction entre un agent nouvellement recruté et un agent ayant déjà plusieurs années d’ancienneté. Il fragilise la lisibilité des parcours professionnels et donne le sentiment d’une progression ralentie, voire figée, en début de carrière.
Une question structurelle, pas conjoncturelle
Ce phénomène n’est ni exceptionnel ni transitoire. Il se reproduit à chaque revalorisation du SMIC non accompagnée d’une hausse du point d’indice.
Le problème n’est donc pas la hausse du SMIC en elle-même, mais l’absence de réponse structurelle du côté des grilles indiciaires.
Deux leviers existent pourtant :
- la revalorisation du point d’indice, qui redonne de l’amplitude à l’ensemble des grilles ;
- ou une refonte des grilles indiciaires, permettant de restaurer des écarts clairs entre les échelons et de redonner du sens à la progression de carrière.
Sans action sur l’un de ces leviers, chaque hausse du SMIC continuera de produire le même résultat : un minimum relevé, mais des carrières comprimées.
Rien d’acté, mais un scénario prévisible
À ce jour, aucune décision réglementaire n’a été prise concernant une revalorisation du point d’indice ou un relèvement du minimum indiciaire dans la fonction publique territoriale.
Il ne s’agit donc pas d’une annonce, mais d’un scénario prévisible, découlant directement des règles actuelles. Les chiffres sont connus. Les mécanismes aussi.
Et leurs effets se répètent.
À retenir
- Le SMIC 2026 dépasser le minimum indiciaire actuel (IM 366).
- Être au niveau du SMIC suppose aujourd’hui au moins l’indice majoré 371.
- Sans mesure structurelle, un nouveau tassement des grilles indiciaires est une conséquence mécanique.
- La question posée est celle de la cohérence et de la reconnaissance des carrières dans la fonction publique territoriale.
Entretien professionnel : la présence du N+2 admise… mais une ouverture à sens unique
Ce que les agents doivent savoir
Un jugement récent du tribunal administratif de Montpellier clarifie les règles applicables à l’entretien professionnel dans la fonction publique territoriale.
Ce que dit le juge
Dans une décision du 21 novembre 2025 (TA Montpellier, n° 2306710), le tribunal juge que :
- l’entretien professionnel doit être conduit par le supérieur hiérarchique direct (N+1), conformément à l’article 2 du décret n° 2014-1526 du 16 décembre 2014 ;
- la présence du N+2 n’est pas interdite par les textes ;
- cette présence est légale dès lors que le N+2 assiste à l’entretien sans s’y substituer.
👉 La seule présence du N+2 ne suffit donc pas à rendre l’entretien irrégulier.
Ce que cela change pour les agents
- Un agent ne peut plus contester son entretien uniquement parce que le N+2 était présent.
- Toute contestation doit reposer sur une irrégularité concrète et démontrable (entretien conduit par le N+2, atteinte aux droits de l’agent, non-respect de la procédure).
La position du SNT
Pour le Syndicat National des Territoriaux (SNT), cette jurisprudence pose question.
👉 Elle ouvre la porte à la présence d’un niveau hiérarchique supplémentaire, au bénéfice exclusif de l’employeur, sans reconnaître de droit équivalent à l’agent.
Or, si l’entretien professionnel peut désormais se tenir à plusieurs côté hiérarchie, le SNT considère qu’il serait cohérent et équilibré que cette ouverture permette également, à la demande de l’agent, un accompagnement par un représentant du personnel.
À ce stade, le droit positif ne le prévoit pas.
Mais cette jurisprudence montre que le cadre de l’entretien n’est pas figé, et qu’une évolution vers davantage d’équilibre et de garanties pour les agents est légitime.
À retenir
✔ La présence du N+2 est admise par la jurisprudence
✔ Le N+1 reste le seul à conduire l’entretien
⚠️ Cette évolution bénéficie aujourd’hui surtout à l’employeur
✊ Pour le SNT, elle doit ouvrir le débat sur le droit à l’accompagnement de l’agent
Sources
- Tribunal administratif de Montpellier, 21 novembre 2025, n° 2306710, magistrate C. Doumergue
- Décret n° 2014-1526 du 16 décembre 2014, article 2
Evolution prévisible des grilles de salaire C1 et C2 des premiers grades de la catégorie C

Proximité, respect, autorité : le cadre juridique du management
Dans un article publié le 16 décembre 2025, La Gazette des communes est revenue sur une question qui traverse le quotidien de nombreux services : jusqu’où un chef de service peut-il être proche de ses agents ?
À partir de décisions récentes du juge administratif, l’article rappelle que la relation hiérarchique dans la fonction publique territoriale ne relève ni de l’arbitraire ni du ressenti, mais d’un cadre juridique précis, construit au fil de la jurisprudence.
Ce retour propose une lecture pédagogique de ces décisions, afin d’en rendre les enseignements accessibles aux agents. Il ne s’agit ni de juger les pratiques, ni de prescrire un modèle de management, mais de rappeler ce que le droit autorise, ce qu’il interdit, et ce que les agents sont en droit d’attendre de leur encadrement.
Entre proximité humaine et distance professionnelle, le juge trace une ligne claire. C’est cette ligne, parfois invisible, mais juridiquement bien réelle, que nous vous proposons de comprendre.
Le respect n’est pas optionnel
Un chef de service n’est pas seulement un organisateur de travail. Il est aussi, comme tout agent public, tenu à un devoir de dignité et d’exemplarité.
Ses paroles doivent être mesurées. Son comportement, irréprochable.
Ainsi, le juge rappelle que le langage employé doit rester « approprié » et respecter les règles élémentaires de courtoisie et de savoir-vivre (TA Pau, 30 septembre 2009, n°2400585).
Même l’absence de mots peut devenir fautive. Refuser de saluer un agent, ne plus lui adresser la parole, ignorer sa présence : ces attitudes ne relèvent pas d’un simple malaise relationnel. Elles constituent un manquement aux obligations hiérarchiques (CAA Toulouse, 23 mai 2024, n°22TL21342).
Dans un service public, le respect ne se négocie pas. Il s’exerce au quotidien.
L’humanité fait partie du rôle
Être chef, ce n’est pas être indifférent.
Lorsqu’un agent fait un malaise sur son lieu de travail, l’absence d’assistance, même si l’incident est sans gravité, constitue une faute de service. Le juge le dit clairement : ne pas porter secours est contraire aux obligations professionnelles d’un supérieur hiérarchique (CAA Paris, 21 juin 2024, n°23PA02439).
Cela ne signifie pas que tout manque d’empathie relève du harcèlement moral. Mais cela rappelle une évidence souvent oubliée :
l’autorité n’exonère jamais de l’humanité.
Tutoyer, vouvoyer : une question de contexte
Le langage crée de la proximité. Parfois trop, parfois pas assez.
Le juge administratif ne condamne pas le tutoiement en soi. Lorsqu’il est utilisé indistinctement avec l’ensemble des agents, il ne suffit pas à caractériser un harcèlement moral (CAA Marseille, 16 septembre 2024, n°23MA02824).
De la même manière, revenir au vouvoiement n’est pas une sanction déguisée. Cela peut traduire la volonté légitime de rétablir une distance professionnelle, indépendamment du ressenti de l’agent concerné (TA Orléans, 1er juillet 2025, n°2301507).
Le droit ne juge pas les émotions. Il examine les intentions et les effets concrets sur les conditions de travail.
Parler des difficultés, sans franchir la ligne
Un supérieur hiérarchique peut s’interroger. Il peut questionner.
Il peut chercher à comprendre.
Demander à un agent s’il rencontre des difficultés personnelles lorsque son travail se dégrade ne constitue pas une immixtion dans la vie privée, dès lors que la démarche vise uniquement à comprendre des erreurs professionnelles (CAA Douai, 5 août 2021, n°20DA00825).
Là encore, tout est affaire de mesure. Ce n’est pas la question qui est fautive, mais l’intention et la manière.
Le corps n’est jamais un terrain neutre
La tenue vestimentaire n’échappe pas au regard du droit.
Parce qu’il engage l’image du service public, un chef de service peut rappeler les règles, formuler des consignes, voire sanctionner lorsque la tenue porte atteinte à la dignité ou à la fonction exercée (TA Cergy-Pontoise, 6 mars 2025, n°2106866 ; TA Toulouse, 9 juillet 2024, n°2101580).
Mais ce pouvoir connaît une limite claire : la liberté de conscience.
Ainsi, le Conseil d’État rappelle qu’une barbe, même fournie, ne constitue pas en soi l’expression d’une conviction religieuse (CE, 12 février 2020, n°418299).
La ligne rouge : le corps et la sexualisation
Il existe des interdits absolus.
Les contacts physiques non justifiés par le service, mains retenues, gestes déplacés, attouchements, sont systématiquement qualifiés de fautes disciplinaires, quelles que soient les justifications avancées (CE, 15 janvier 2014, n°362495 ; CAA Douai, 28 juin 2012, n°11DA00971 ; TA Grenoble, 21 novembre 2025, n°2305151).
Les propos à connotation sexuelle, les messages insistants ou grivois, peuvent caractériser un harcèlement sexuel, même en l’absence de contrainte explicite. Le juge apprécie ensuite la proportionnalité de la sanction au regard des faits (CAA Versailles, 13 mars 2014, n°12VE03012).
Sur ce terrain, aucune ambiguïté n’est tolérée.
Ce que les agents peuvent attendre
De cette jurisprudence se dégage une certitude simple :
- Un chef de service peut être présent, attentif, à l’écoute.
Il ne peut jamais être méprisant, intrusif, familier au point d’effacer l’autorité, ni ambigu dans ses gestes ou ses paroles. - La proximité professionnelle n’est pas une affaire d’affection.
C’est une affaire de respect. - Et le droit, patiemment, veille à ce que cette ligne ne soit jamais franchie.
Protection sociale complémentaire : une avancée majeure… en attendant les décrets
Bonne nouvelle pour les agents territoriaux : la loi sur la prévoyance a enfin été adoptée.
Mauvaise nouvelle : il aura fallu deux ans et demi, un parcours parlementaire sinueux, et il reste encore à attendre les décrets d’application pour que cette avancée devienne pleinement effective.
Mais ne boudons pas notre plaisir : le plus dur est fait. Enfin… presque.
Un accord historique… longtemps resté en salle d’attente
Rappelons-le : le 11 juillet 2023, employeurs territoriaux et organisations syndicales signaient à l’unanimité un accord inédit sur la protection sociale complémentaire des agents territoriaux.
Un accord négocié sans l’État, une première dans l’histoire de la fonction publique territoriale.
Depuis ?
Silence radio.
Ministres favorables, certes. Projet de loi, beaucoup moins.
Il aura fallu attendre 2025 pour qu’une proposition de loi vienne enfin traduire juridiquement le fruit du dialogue social territorial.
Une loi adoptée… après une longue maturation
Le 11 décembre 2025, l’Assemblée nationale adopte enfin le texte, par 106 voix pour et 17 contre.
Le Sénat avait déjà fait le travail en juillet.
Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale avait demandé que le texte avance vite.
La procédure accélérée ? Non.
La législation en commission ? Oui, histoire de rattraper le temps perdu.
Résultat : la loi est votée. Applaudissements partagés. Communiqué commun employeurs–syndicats. Soulagement général.
Des droits renforcés… mais pour plus tard
Sur le papier, la loi est ambitieuse :
- contrats collectifs de prévoyance à adhésion obligatoire ;
- fin des contrats individuels labellisés ;
- participation minimale de l’employeur portée à 50 % ;
- prise en charge des pathologies antérieures ;
- souplesse d’adhésion pour les agents en arrêt maladie.
Sur le calendrier, en revanche, on respire… lentement.
👉 L’entrée en vigueur est désormais fixée au 1er janvier 2029.
Soit près de six ans après la signature de l’accord initial.
Objectif affiché : laisser le temps aux collectivités de passer de nouveaux marchés.
Effet concret : les agents attendront encore.
Une avancée unanimement saluée… et unanimement différée
Tout le monde est d’accord :
- les employeurs territoriaux,
- les organisations syndicales,
- le rapporteur du texte,
- le président du CSFPT.
Tous parlent de progrès social majeur, de protection renforcée, de dialogue social exemplaire.
Et tous attendent désormais la même chose :
👉 les décrets d’application, indispensables pour passer de la loi… à la réalité.
Conclusion provisoire (en attendant la définitive)
La loi sur la prévoyance des agents territoriaux est adoptée.
L’accord collectif est enfin sécurisé.
Les principes sont posés.
Les droits sont écrits.
Il ne reste plus qu’à attendre :
- la promulgation,
- les décrets,
- puis 2029.
En matière de prévoyance, les agents territoriaux savent désormais une chose avec certitude :
👉 ils sont très bien protégés… contre la précipitation.
