SNT Info #20/11/2025

Édito

« Quand l’État retarde, les territoires montrent la voie »

Par Stéphane MARTIN

Il y a quelque chose d’étrangement confortable, pour l’État, à observer la montée des violences depuis les hauteurs ministérielles, comme on contemple un paysage orageux derrière une vitre épaisse. Le tonnerre gronde, mais la moquette étouffe les vibrations. Les chiffres défilent  : 16 % d’agents publics agressés, +7 % de signalements, plus de 40 % qui disent avoir déjà été pris à partie  et l’on pourrait presque croire qu’ils flottent dans l’air, abstraits, désincarnés, sans chair humaine derrière eux. Rien, ou presque, ne semble vraiment déplacer la mécanique administrative, sinon l’annonce de trois groupes de travail, trois seulement, comme si l’on espérait qu’un problème d’ampleur nationale se laisserait enfermer dans une poignée de réunions, plié sous un trombone au bas d’un agenda déjà trop chargé.

Pendant ce temps, dans la réalité des chantiers routiers, des accueils saturés, des interventions sociales sous tension, les agents encaissent les coups, les insultes, les menaces à peine voilées. Ils encaissent aussi ce qui ne s’écrit dans aucune statistique : les regards agressifs, les mots qui piquent, les gestes brusques, la fatigue de tenir bon, encore et encore, avec le sentiment opaque d’être devenus des cibles faciles. Ce que l’on range dans un coin de la gorge avant d’enfiler à nouveau son gilet, son badge, son uniforme, parce qu’il faut bien que le service public continue d’exister, malgré tout.

Et tandis que la DGAFP prend le pouls de loin, comme on écoute un cœur à travers les murs, dans les Vosges, l’initiative est venue d’ailleurs, du terrain lui-même. Du SNT Vosges, précisément, qui a refusé d’attendre que les solutions descendent en pluie fine depuis Paris. À son impulsion, un groupe de travail s’est réuni, associant organisations syndicales, service QVT et Direction des routes. Pas un cercle de parole décoratif, mais une table où l’on interroge les situations, où l’on confronte les pratiques, où l’on cherche des réponses tangibles : comment renforcer les dispositifs techniques pour protéger les agents ? Quels cadres juridiques consolider, quels réflexes ancrer, quelles failles refermer ? Comment faire en sorte que des agents publics n’aient plus à se sentir seuls face à l’inacceptable ?

Le Conseil départemental des Vosges, à son crédit, a joué le jeu. Sobrement, sans mise en scène, sans grands discours. Il a fait ce que nombre d’employeurs publics peinent encore à faire : reconnaître, simplement, que les agents prennent des risques réels. Non par héroïsme institutionnel, mais parce que le terrain l’impose avec une brutalité que nul tableau Excel ne peut masquer. Cette reconnaissance, il l’a inscrite dans le régime indemnitaire, intégrant les sujétions liées au risque d’agression et au risque d’incivilités. Une majorité des agents concernés ont été indemnisés, reconnus, considérés. Certains attendent encore — preuve que la route est tracée mais que le pas doit s’accélérer. Rien d’exemplaire au sens sacral du terme : simplement une décision juste, pragmatique, presque évidente pour qui écoute vraiment ce que vivent les agents.

Pendant que ces avancées locales prennent forme, le SNT, lui, ne relâche rien. Il rappelle ce que les agents savent déjà jusqu’à la saturation : la violence n’est pas un accident du métier, mais un risque professionnel majeur ; la protection fonctionnelle doit être déclenchée sans délai, sans frilosité, sans détours administratifs indécents ; chaque agression doit être recensée, analysée, nommée, pour qu’aucune ne se dissolve dans l’oubli. Il rappelle aussi que l’organisation du travail, quand elle se dégrade, devient un terreau propice aux violences internes, un sol fissuré où naissent les tensions invisibles. Et que les métiers de première ligne — routes, tranquillité publique, accueil, social — ont besoin, plus que jamais, de formation, d’équipement, d’effectifs, et d’un soutien qui ne s’évapore pas dès que la crise retombe.

Alors oui, l’ironie demeure, discrète mais acérée : pendant que l’État recense les agressions, ce sont les syndicats qui initient les réponses ; pendant que les ministères alignent les pourcentages, ce sont les territoires — certains, pas tous — qui prennent leurs responsabilités ; pendant que l’administration centrale enchaîne les promesses, des agents continuent d’aller travailler avec la boule au ventre, mais avec la conviction que, quelque part, leurs représentants refusent de lâcher le combat.

Ici, dans les Vosges, le mouvement n’est pas né d’une directive mais d’une exigence syndicale, prolongée par une collectivité qui a accepté de regarder la réalité en face, sans s’en glorifier. Une coopération sans indulgence, sans surenchère, mais avec quelque chose de rare : la volonté de protéger réellement celles et ceux qui font tenir debout le quotidien.

Parce qu’au fond, protéger un agent, ce n’est pas rendre service à un individu.
C’est maintenir debout ce qu’il reste de la dignité du service public, ce fragile équilibre entre la République qu’on défend et celle qu’on voudrait encore croire.


Liens utiles:

« La sécurité des agents territoriaux : Un enjeu prioritaire pour le SNT », SNT Infos n°011, « Violence, le ras le bol des agents publics », SNT Vosges, 22 novembre 2023, « Protection fonctionnelle : un droit à défendre, pas une faveur », Actualités SNT (3 novembre 2025), « Lettre info #31 – Violences au travail : le SNT exige des actes pour protéger les agents territoriaux »« La protection fonctionnelle des agents publics » (SNT Vosges fiche pratique) , « Mesures de prévention prises pour tous les agents travaillant sur les routes », « Négociation sur les sujétions au CD88 » 

Les news de la fédération sur ce sujet

Mise à jour du décret 2024-641 : ce que change la mise en conformité 2025 pour le régime indemnitaire des agents du CD88

Depuis quelques mois, le décret 2024-641 redessine les règles nationales du régime indemnitaire en cas d’absence pour raison de santé.
Son application est obligatoire depuis le 1ᵉʳ septembre 2024, et comme toutes les collectivités territoriales, le Département des Vosges doit désormais aligner ses pratiques sur ce nouveau cadre.

Une réunion d’information s’est tenue le lundi 17 novembre entre les organisations syndicales et la Direction des Ressources humaines.
Ce temps d’échange a permis de présenter les ajustements nécessaires, d’en expliquer les raisons et de confirmer que la collectivité souhaitait aborder cette mise en conformité avec bienveillance et dans un esprit d’accompagnement des agents.

Voici, simplement et clairement, ce que cette mise à jour implique pour votre rémunération et vos primes.

Pourquoi cette mise à jour est-elle nécessaire ?

Pendant longtemps, le CD88 appliquait des pratiques locales héritées des années précédentes.
Le payeur départemental a cependant rappelé qu’en l’absence d’une délibération conforme au décret de 2024, certaines primes pourraient être refusées, ou même réclamées rétroactivement.

La mise à jour 2025 sert donc à :

  • sécuriser les bulletins de paie,

  • éviter tout risque de reprise financière,

  • garantir l’application stricte du droit national,

  • clarifier des situations jusque-là peu encadrées.

Tous ces éléments ont été confirmés lors de la réunion du 17 novembre.

Ce que le décret change réellement dans vos primes

Le principe désormais applicable est le suivant :

👉 vos primes évoluent de la même manière que votre traitement selon votre type d’arrêt maladie.

Voici ce que cela signifie concrètement :

Type d’absence Règle d’indemnisation Précisions importantes
🟦 Maladie ordinaire (CMO) Plein traitement → primes maintenues _ Demi-traitement → primes réduites de moitié Pas de changement majeur.
🟩 Congé Longue Maladie (CLM) 1ʳᵉ année → 33 % des primes2ᵉ et 3ᵉ années → 60 % des primes Taux fixés par le décret 2024-641.
🟥 Congé Longue Durée (CLD) Suspension totale du régime indemnitaire Jamais rétroactif : les primes déjà versées restent acquises.
Disponibilité d’office Suspension totale des primes Car ce n’est plus une position d’activité.
🟨 CITIS (accident de service / maladie pro) À définir par la future délibération Maintien total ou modulation possible.

Le décret laisse une marge de manœuvre aux collectivités.
La future délibération précisera si le CD88 choisit le maintien intégral du RI ou une modulation.

Une garantie forte : aucune reprise sur les primes déjà perçues

Lors de la réunion du 17 novembre, la DRH a rappelé un point essentiel :

👉 Si un CLM ou un CLD est reconnu rétroactivement, rien ne peut vous être repris.
La modulation ne commence qu’à partir du mois suivant la décision du Conseil médical.

Ce principe, protecteur, évite les mauvaises surprises et sécurise les situations personnelles.

Le CIA : un sujet clé… et un désaccord assumé

Le CIA est au cœur des discussions car il s’agit de la prime annuelle qui reconnaît l’engagement professionnel.

La jurisprudence est claire depuis plusieurs années :
👉 le CIA ne peut pas être modulé selon l’assiduité.

Le SNT Vosges défend donc une position simple et juste :

  • maintien du CIA,

  • aucune minoration liée à la maladie,

  • évaluation fondée uniquement sur la manière de servir,

  • rédaction sécurisée dans la nouvelle délibération.

Cette position a été présentée à la collectivité.
La Direction s’est montrée ouverte au dialogue, mais a indiqué qu’elle ne souhaitait pas revenir sur le principe d’une minoration du CIA au-delà de 30 jours d’absence maladie.

Le SNT Vosges a pris acte de cette orientation, tout en réaffirmant qu’il s’agit d’un enjeu majeur, tant pour la reconnaissance du travail que pour l’équité et la justice sociale.

En résumé : ce qui change pour vous en 2025

✔️ Le CD88 met à jour son régime indemnitaire pour être conforme au décret 2024-641.
✔️ Vos primes évoluent désormais selon votre type d’arrêt maladie.
✔️ Certaines situations (CLM, CLD, disponibilité d’office) changent profondément.
✔️ Les primes déjà perçues ne seront jamais reprises.
✔️ La collectivité veut mettre en œuvre cette transition avec bienveillance.
✔️ Un désaccord persiste sur le CIA : minoration après 30 jours, contre l’avis du SNT Vosges.

Quand la maladie oblige à choisir : arrêt, perte de revenus… ou télétravail ?

Les informations publiées ces derniers mois dressent un tableau troublant : la maladie n’est plus seulement un état de santé, c’est devenu un sujet politique, budgétaire, presque idéologique.
Dans la fonction publique comme dans le privé, elle est de plus en plus présentée comme un phénomène à “maîtriser”.

Le Sénat a relancé le débat sur l’allongement du délai de carence, signe que la question du coût des arrêts maladie revient régulièrement sur la table.
Parallèlement, notre député vosgien Stéphane Viry avance une idée inédite : permettre, lorsque l’état de santé le permet, le télétravail pendant un arrêt maladie, afin d’éviter aux agents une perte de rémunération.
Le gouvernement ne reprend pas formellement ces propositions, mais ne les écarte pas non plus.

Ces signaux convergents créent un climat ambigu :
👉 l’arrêt maladie n’est plus perçu comme un droit médical évident, mais comme quelque chose que l’on pourrait réduire, contourner ou réaménager.

Dans ce contexte, les agents ressentent une pression sourde :

– peur d’être considérés comme “coûteux”,
– peur de perdre une prime ou un complément indemnitaire,
– crainte d’être jugés sur leurs absences autant que sur leur travail.

On ne leur dit pas de ne pas tomber malades.
Mais tout laisse entendre que ce n’est pas vraiment souhaitable.

Ce climat suffit à expliquer un phénomène désormais observé dans de nombreuses collectivités :
👉 des agents programment leurs opérations ou soins lourds pendant leurs congés, pour éviter un arrêt maladie.

Ce phénomène est d’autant plus frappant que le droit européen est clair :
➡️ si un agent tombe malade pendant ses congés, ses congés doivent être préservés et reportés.
La maladie ne peut pas “manger” des repos annuels.
Tout cela est parfaitement sécurisé par les directives et la jurisprudence européennes.

Pourtant, cette protection juridique ne pèse pas lourd face à la pression ressentie.
Et il est essentiel de le rappeler :
👉Aucune réforme n’impose de telles pratiques.
👉Aucune loi ne pousse les agents à se faire opérer pendant leurs vacances.

Ce comportement n’est pas la conséquence d’un texte voté.
👉 Il est la conséquence d’un climat.
Un climat nourri par les débats sur la carence, les discours sur l’absentéisme, les réflexions sur le télétravail en maladie, et l’idée persistante que l’arrêt est un coût qu’il faudrait limiter.

En réalité, les agents ne font que réagir à ce qu’ils voient et entendent.
Ils se protègent. Ils anticipent. Ils évitent ce qu’ils craignent.
Ils s’organisent pour ne pas perdre d’argent, pour ne pas attirer l’attention, pour ne pas être montrés du doigt.

Et aujourd’hui, la maladie devient un motif d’inquiétude pour les agents, non pas parce qu’ils sont malades,
mais parce qu’ils savent ce que cela pourrait entraîner pour eux.

La question n’est plus : “Êtes-vous malade ?”
Elle devient :
👉 “Pouvez-vous vous permettre de l’être ?”

Congrès de l’Union Départementale 88 CFE CGC

Le SNT Vosges y était…

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